Billet: Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) – Association des employés du soutien académique de Concordia (SESAC) – FTQ c. Iloabuchi Ocheoha – Intimidation et ordonnance provisoire – article 13 du Code du travail

Date23 janvier 2024
Auteurs Lian Francis
Julien Thibault
Sujets Billet juridique Décision MMGC

Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) – Association des employés du soutien académique de Concordia (SESAC) – FTQ c. Iloabuchi Ocheoha, 2023 QCTAT 5221 (juge administrative Mylène Alder)

Avocate MMGC responsable du dossier : Marie-Claude St-Amant

Dans cette affaire, le TAT fait droit à une demande d’ordonnance de sauvegarde assortie à une plainte pour intimidation et menaces contraires à l’article 13 du Code du travail.

Cette décision s’inscrit dans le contexte d’une campagne de syndicalisation des surveillant.e.s d’examen à l’Université Concordia, menée par un nouveau syndicat au cours du mois de décembre dernier. Les intimés visés par la plainte et la demande d’ordonnance de sauvegarde sont deux surveillants d’examen qui photographient, filment et enregistrent des membres potentiels et des personnes impliquées dans la campagne de syndicalisation alors que ces dernières communiquent de l’information au sujet de la campagne ou font signer des cartes d’adhésion au syndicat. Les intimés tiennent également des propos insultants et donnent des informations inexactes aux salarié.e.s à propos du syndicat.

Le TAT conclut que le syndicat a démontré une apparence de droit claire à obtenir les ordonnances souhaitées.En effet, le Tribunal rappelle que la liberté d’association protège autant le droit dessalarié.e.s de faire un libre choix quant à leur appartenance à une association accréditée, sans intimidation ni menaces visant à les amener à s’abstenir ou de cesser d’en être membre, que le droit pour le syndicat de mener une campagne efficace et libre de toute contrainte indue. Le TAT ajoute que le comportement des intimés compromet la confidentialité de l’adhésion à un syndicat, protégée par le Code du travail. Le TAT conclut donc que les agissements des intimés constituent,prima facie, une forme d’intimidation susceptible de contrevenir à l’article 13 du Code.

Quant au préjudice sérieux ou irréparable, le TAT retient que le fait que les intimés interpellent les membres potentiels et prennent des photos ou des vidéos de ceux-ci lorsqu’ils s’entretiennent avec des représentant.e.s du syndicat crée un malaise et mine les efforts de recrutement du syndicat. Pour le TAT, il est clair que ce préjudice sérieux à l’efficacité de la campagne de syndicalisation se perpétuera en l’absence d’intervention du tribunal.

Le TAT conclut enfin que la prépondérance des inconvénients favorise indubitablement le syndicat, puisque le fait pour le TAT d’ordonner aux intimés de respecter les dispositions impératives du Code n’entraîne pas de réel préjudice pour ceux-ci.

Le TAT ordonne donc aux intimés de cesser toute forme d’intimidation ou de menaces à l’égard de toute personne impliquée dans la campagne de syndicalisation, incluant la prise de photos, de vidéos et l’enregistrement de ces personnes. Il ordonne aux intimés de ne pas s’approcher à moins de quinze mètres des personnes impliquées dans la campagne, sauf si nécessaire pour accomplir leur travail, auquel cas il leur est interdit de s’arrêter auprès de ces personnes ou de leur adresser la parole au sujet de la campagne.

Il convient également de noter que le TAT rejette l’argument de l’Université Concordia, mise en cause, qui contestait l’ordonnance recherchée par le syndicat d’afficher la décision dans un endroit visible en prétendant qu’à titre d’employeur, aucun comportement fautif ne lui était reproché. Le TAT rappelle qu’une telle ordonnance n’a pas de visées punitives et qu’elle a pour objet de s’assurer que la décision puisse être communiquée aux personnes concernées.

L’intérêt de cette décision découle en partie du fait qu’il s’agit, à notre connaissance, de la première décision rendue en matière d’ordonnance de sauvegarde dans le contexte d’une plainte concernant strictement des comportements d’intimidation, n’impliquant pas, comme à l’habitude, d’entrave ou d’ingérence de la part de l’employeur. Le TAT rappelle aussi, de façon utile, que la prétention des intimés à l’effet que leurs agissements se justifiaient par de possibles contraventions à l’article 5 du Code – qui interdit la sollicitation syndicale pendant les heures de travail – n’est pas pertinente à l’analyse et ne saurait légitimer le comportement menaçant des intimés. Il s’agit ainsi d’une élaboration bienvenue de la jurisprudence appliquant l’article 13 du Code du travail, renforçant de manière robuste la protection du droit des personnes salariées de devenir membre d’une association sans faire face à de l’intimidation par qui que ce soit.

Il est à noter que la décision fait présentement l’objet d’une demande de révision en vertu de l’article 49 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail.