Billet: Alliance de la fonction publique du Canada c. Procureur général du Québec – Loi sur les syndicats professionnels et discrimination

Alliance de la fonction publique du Canada c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 4701 (juge Eleni Yiannakis)

Avocate MMGC responsable du dossier : Marie-Claude St-Amant

Par cette décision, la Cour supérieure accueille un recours contestant la constitutionnalité de certaines dispositions de la Loi sur les syndicats professionnels (ci-après, « la LSP ») qui excluent les non-citoyens canadiens de la constitution d’un syndicat professionnel, de son conseil d’administration et de son personnel. De plus, en vertu de ces dispositions, advenant le non-respect des seuils minimaux de membres canadiens, l’existence même du syndicat professionnel est compromise.

Considérant le nombre important d’étudiants étrangers impliqués sur les campus, ces restrictions de la LSP ont notamment un effet important sur les syndicats en milieu universitaire. Dans ce dossier, l’Alliance de la fonction publique du Canada (ci-après, « l’AFPC ») et le président – non-citoyen canadien – d’un syndicat en milieu universitaire affilié à l’AFPC demandent au tribunal d’invalider ces dispositions de la LSP dont ils estiment qu’elles sont inconstitutionnelles.

La Cour supérieure conclut que les dispositions contestées de la LSP sont discriminatoires : elles contreviennent à l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après, « la Charte canadienne») et l’atteinte au droit à l’égalité n’est pas justifiée en en vertu de l’article premier de cette Charte.

La Cour supérieure conclut qu’il n’y a aucun lien apparent entre la citoyenneté et la capacité à s’impliquer dans un syndicat. Ainsi, la distinction fondée sur la citoyenneté dans les dispositions attaquées perpétue des stéréotypes discriminatoires eu égard à la loyauté et à l’engagement des non-citoyens envers leur nouveau pays.

La Cour écarte les arguments du procureur général du Québec selon lesquels les demandeurs pourraient utiliser d’autres régimes pour constituer leur syndicat en personne morale et que les difficultés exprimées ne seraient que théoriques à ce stade, puisque les non-citoyens canadiens sont dans les faits impliqués dans des syndicats professionnels, malgré les dispositions de la LSP. La Cour indique que bien que le régime de la LSP ne soit pas obligatoire et que d’autres régimes permettent à un syndicat d’être constitué comme une personne morale, cela n’a pas pour effet de supprimer la discrimination engendrée par les dispositions en cause de la LSP. Par ailleurs, la Cour estime que l’argument du procureur général quant au caractère théorique allégué du préjudice étant donné le rôle actif joué par les non-citoyens dans les faits revient à demander au tribunal d’avaliser une illégalité. La Cour indique qu’en demandant au tribunal de ne pas intervenir à l’endroit de cette illégalité, le procureur général reconnaît en quelque sorte le désavantage causé par les dispositions contestées.

La Cour estime par ailleurs qu’aucune violation de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personnen’est établie en raison de l’absence d’un motif de discrimination prohibé de « citoyenneté » à cet article et du caractère exhaustif des motifs de discrimination prohibés dans la Charte québécoise. La Cour juge également qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur l’argument d’une possible violation de la liberté d’association étant donné sa conclusion sur la question de la discrimination.

La Cour supérieure conclut par la suite que les dispositions contestées ne sont pas justifiées au sens de l’article premier de la Charte canadienne. Elle estime que le procureur général n’a pas démontré que l’objectif législatif qu’elle allègue, soit la protection des syndicats contre l’ingérence étrangère, répond à des préoccupations urgentes et réelles. Elle conclut de surcroît que les exigences en matière de citoyenneté n’ont pas de lien rationnel avec l’objectif de protection des syndicats nationaux. De plus, le tribunal note que d’autres régimes de constitution que les syndicats peuvent employer, par exemple la partie III de la Loi sur les compagnies, ne posent pas les exigences de citoyenneté de la LSP, ce qui démontre que le législateur dispose d’autres moyens moins attentatoires pour atteindre son objectif.

À titre de réparation, le tribunal raye la portion concernant l’exigence de citoyenneté dans les dispositions qui ont d’autres composantes valides et invalide entièrement deux dispositions qui concernaient uniquement l’exigence de citoyenneté.

La Cour suspend ces déclarations d’invalidité pour une période de six mois au motif que cela serait requis par « la théorie du dialogue ».

Le maintien en vigueur – jusqu’en 2023 – de ces dispositions discriminatoires anachroniques, dans le régime législatif le plus utilisé au Québec pour constituer des syndicats en personne morale, peut paraître surprenant. Nous saluons cette décision qui donne vie au droit à l’égalité garanti par la Charte en reconnaissant le caractère discriminatoire de la distinction entre citoyens canadiens et non-citoyens dans la LSP. On peut toutefois se demander si la suspension de l’effet immédiat de la déclaration d’invalidité prononcée par le tribunal est conforme au critère posé par la Cour suprême du Canada en cette matière.