Billet: Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) c. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) – entrave et monopole de représentation du syndicat

Date1 mai 2024
Auteurs Élisabeth Diguer
Julien Thibault
Sujet Billet juridique

Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) c. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS), 2024 QCTAT 704 (juge administratif Pierre-Étienne Morand)

Les parties demanderesses (en l’occurrence l’APTS, la FSSS-CSN et la FP-CSN) estiment qu’il y a eu entrave à leurs activités et manquements à l’obligation de négocier avec diligence et bonne foi de la part du Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS), du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et du Ministre de la Santé et des Services sociaux.

Ces plaintes des intervenants syndicaux s’inscrivent dans la foulée de l’instauration d’une directive unilatérale visant à favoriser l’attraction et la rétention du personnel qualifié de certains ordres professionnels dans le secteur de l’Évaluation/Orientation de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) par le versement d’un montant forfaitaire de 900 $ visant notamment à défrayer le coût d’une adhésion à un ordre professionnel.

Alors que le nombre d’enfants en attente d’une évaluation et d’une orientation de leur dossier après un signalement à la DPJ atteint un niveau record en 2023, qu’il y a une importante pénurie de main-d’œuvre et de rétention du personnel à l’Évaluation/Orientation et que les négociations visant le renouvellement des conventions collectives sont en cours, une directive ministérielle prévoyant un montant destiné à couvrir les frais payés pour adhérer à un ordre professionnel entre en vigueur.

C’est dans ce contexte que le TAT se pose la question de déterminer si le moyen temporaire retenu par le gouvernement pour réduire la liste d’attente des enfants dont le dossier doit être évalué et faire l’objet d’une orientation constitue une entrave aux activités syndicales. Le TAT note d’emblée que l’octroi d’un montant de 900 $ aux salariés respectant les exigences de la directive constitue une condition de travail, faisant des associations accréditées les interlocuteurs obligés de la partie patronale à cet égard.

Le juge administratif Morand conclut, quant au contexte de négociation, que les parties demanderesses se sont montrées ouvertes à discuter leur position initiale concernant l’octroi d’un montant permettant d’assumer les frais des ordres professionnels pour l’ensemble du personnel de la DPJ dans le cadre des séances de négociation. Or, la partie patronale a maintenu sa position initiale, demeurant intraitable quant au fond d’une telle mesure et ne laissant uniquement place à quelques discussions sur la question accessoire des modalités. Une fois que les parties demanderesses ont refusé ce qui avait été proposé, la partie patronale les a avisés de la mise en place d’une directive ministérielle. Pour le TAT, en écartant les représentants syndicaux et contournant le monopole de représentation, les représentants patronaux ont ainsi imposé une modification d’une condition de travail.

Bien qu’il existe un lien logique entre l’objectif poursuivi et la mesure mise en place, le TAT constate que la preuve révèle que les représentants patronaux ont été intraitables quant au fond de la mesure et qu’aucun dialogue authentique n’a eu lieu avec les représentants syndicaux. En d’autres termes, selon le TAT, le gouvernement avait déjà « fait son lit ». Quoique le but poursuivi puisse être légitime, il n’en demeure pas moins que la fin ne justifie pas les moyens, de l’avis du juge administratif Morand.

La partie patronale argue aussi que cette mesure unilatérale est à l’avantage des salariés visés par celle-ci. Or, le TAT rejette cette thèse dans la mesure où elle permettrait d’écarter le monopole de représentation dès qu’une mesure constituerait potentiellement un avantage. Au surplus, le juge administratif Morand souligne que la preuve présentée a mis en lumière des exemples concrets de l’effet de l’imposition unilatérale de la directive notamment par le fait que cette directive distingue quant à cette condition de travail les salariés qui travaillent à l’Évaluation/Orientation de tous les autres salariés de la DPJ. En fin de compte, le TAT conclut que la conduite des intervenants patronaux constitue une inconduite grave dont ils ne pouvaient pas ignorer les conséquences, et ce, d’autant plus que le CPNSSS, le MSSS et le Ministre avaient déjà été réprimés pour des cas analogues où ils avaient fait fi de leurs interlocuteurs syndicaux et entravés leurs activités.

Accueillant ainsi les plaintes pour entrave aux activités syndicales, le TAT arrive également à la conclusion que la partie patronale a feint de négocier alors qu’en réalité il n’y avait aucune réelle ouverture à négocier avec les interlocuteurs syndicaux sur le fond de la mesure. Les plaintes pour manquement à l’obligation de diligence et de bonne foi dans les négociations sont aussi accueillies. Constatant la récidive des intervenants patronaux à entraver les activités syndicales et à transgresser l’obligation de négocier de bonne foi et de manière diligente et à la lumière de décisions récentes impliquant les mêmes parties,  le TAT estime qu’il y a lieu d’ordonner le paiement d’une somme totale de 65 000 $ à titre de dommages punitifs, et ce afin de faire comprendre au gouvernement l’importance du respect des dispositions d’ordre public et dissuader tout nouveau comportement similaire, en violation des articles 12 et 53 du Code du travail ainsi que de la liberté d’association, notamment protégée par la Charte des droits et libertés de la personne.

Quoique la modification d’une condition de travail puisse être avantageuse pour certains salariés et qu’elle réponde à un objectif véritable et louable, il demeure proscrit pour les représentants patronaux de faire fi de leurs interlocuteurs syndicaux que ce soit en feintant un dialogue alors que la décision de modifier une condition de travail a déjà été prise ou en critiquant ouvertement des revendications syndicales (Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec – FIQ c. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux, 2022 QCTAT 3711). Toute imprudence patronale susceptible de discréditer l’association accréditée auprès de ses membres dont un employeur ne peut ignorer les conséquences constitue une atteinte au monopole de représentation et une altération du fragile équilibre des relations de travail. Nous notons que cette décision du TAT s’inscrit dans la foulée de plusieurs précédents récents qui tendent à accorder des montants significatifs à titre de dommages punitifs, dans une optique de dissuasion et de sanction d’atteintes intentionnelles à des dispositions d’ordre public qui revêtent, sans contredit, une importance capitale.