Billet: Melon c. Syndicat de l’enseignement de la Jamésie et de l’Abitibi-Témiscamingue – devoir de juste représentation et secret professionnel

Date6 décembre 2023
Sujets Billet juridique Décision MMGC

Melon c. Syndicat de l’enseignement de la Jamésie et de l’Abitibi-Témiscamingue, 2023 QCTAT 4911 (juge administratif Sylvain Gagnon)

Avocat MMGC responsable du dossier: Sylvain Beauchamp

Billet rédigé par Jean-François Demers, en collaboration avec Guillaume Grenier

La plaignante dépose une plainte devant le Tribunal administratif du travail (« TAT ») alléguant que le syndicat a manqué à son devoir de juste représentation à son égard en décidant de ne pas procéder à l’arbitrage d’un grief à l’encontre de sa fin d’emploi. Selon elle, le syndicat n’aurait pas dû se fier aveuglément à l’opinion juridique de ses avocats, qui serait incomplète et biaisée. Elle souhaite déposer en preuve ladite opinion, dont elle a obtenu copie.

Le syndicat soutient que la plainte est irrecevable puisque déposée hors délai. Il soutient de plus avoir respecté ses obligations envers la plaignante en appuyant sa décision sur une opinion juridique selon laquelle le grief n’avait aucune chance raisonnable de succès. Il ne s’oppose pas au dépôt de l’opinion en preuve, mais demande que des ordonnances soient rendues afin d’en protéger la confidentialité, notamment à l’encontre de l’employeur.

Sur la question du délai, la plaignante prétend que puisque le syndicat a accepté de réévaluer sa position et de fournir une deuxième opinion juridique, le délai commençait au moment où la plaignante a reçu cette seconde opinion. Or, le TAT rappelle que les démarches qui surviennent après l’annonce que le syndicat ne portera pas le grief en arbitrage n’interrompent pas la computation du délai et n’ont pas pour effet de reporter la date de connaissance du manquement reproché. Le TAT conclut ainsi que le délai de 6 mois pour le dépôt d’une plainte débutait à la date de la première annonce du syndicat et que, par conséquent, la plainte est déposée hors délai.

Le TAT conclut par ailleurs que même si la plainte avait été jugée recevable, il l’aurait rejetée, puisque le syndicat n’a pas manqué à son devoir de représentation. Le TAT estime en effet que le syndicat a fait un examen sérieux du dossier. Le TAT rappelle qu’il n’a pas à évaluer la qualité de l’opinion juridique sollicitée, mais ajoute néanmoins que la qualification de celle-ci par la plaignante comme étant biaisée et incomplète ne peut être retenue.

Sur la question de la confidentialité de l’opinion juridique, l’employeur soutient qu’il y a eu renonciation au secret professionnel de la part du syndicat lorsque ce dernier a remis l’opinion à la plaignante. Le TAT rejette cette prétention. Le fait qu’une partie renonce au secret professionnel au bénéfice d’une personne donnée n’a pas automatiquement comme effet d’étendre cette renonciation à tous les tiers. En l’espèce, l’opinion a été transmise à titre confidentiel, dans un contexte où le syndicat agissait comme représentant de la plaignante dans le cadre d’un grief. La renonciation qui en résulte ne vise que la plaignante et ne s’étend pas à l’employeur.

Le TAT ajoute que que si l’employeur a un droit d’être entendu, ce droit est toutefois limité en l’espèce puisque ce dernier n’est pas une partie à part entière au litige, mais est seulement mis en cause, avec un rôle restreint.

Le TAT rend donc des ordonnances de confidentialité à l’égard de l’opinion juridique (mise sous pli confidentiel, non-divulgation, non-publication et non-diffusion), en plus d’ordonner un huis clos et l’exclusion de l’employeur à l’audience lorsque le contenu de l’opinion devait être abordé.

Cette décision jette entre autres un éclairage utile sur la question de la confidentialité de l’opinion juridique sollicitée par le syndicat dans le contexte d’une plainte de manquement au devoir de représentation, soit une question peu abordée jusqu’ici par le TAT. La protection étendue du secret professionnel en droit québécois fournissait une assise solide pour l’obtention d’ordonnances visant à protéger la confidentialité de l’opinion juridique. De façon plus particulière, la décision rappelle le principe selon lequel une divulgation partielle d’un document visé par le secret professionnel n’emporte pas nécessairement la renonciation au secret à l’égard de tous.