Billet: Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil – discrimination et état civil

Date22 mars 2024
Auteurs Jérémie Bérubé
Julien Thibault
Sujet Billet juridique

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204 (juges Guy Gagnon, Michel Beaupré et Daniel Dumais, ad hoc)

Dans cette affaire, la Cour d’appel rejette l’appel du Syndicat à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, qui avait refusé d’intervenir en contrôle judiciaire à l’égard d’une sentence arbitrale.

En effet, l’arbitre Claude Martin devait disposer d’un grief collectif dans lequel le Syndicat alléguait notamment que certaines dispositions de la convention collective le liant à l’employeur, le Réseau de transport de Longueuil, étaient discriminatoires et incidemment contraires à la Charte des droits et libertés de la personne.

Devant l’arbitre, le Syndicat soutenait que le fait que les salariés en congé de paternité ne puissent profiter de certains congés « d’assiduité », alors que d’autres salariés qui s’absentent pour des raisons différentes peuvent en bénéficier, constituait de la discrimination au sens de la Charte québécoise. En effet, le syndicat plaidait que la notion d’« état civil », prévu l’article 10 de la Charte, devait englober la « parentalité » et la « situation parentale ».

L’arbitre Martin a conclu que le fait que la convention collective n’inclue pas les absences dues aux congés de maternité, de paternité et au congé parental parmi les congés qui ne sont pas pris compte aux fins de l’octroi du congé d’assiduité, n’était pas discriminatoire au sens des articles 10 et 16 de la Charte québécoise. En s’appuyant sur les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord (2010 QCCA 497) SIISNEQ »), l’arbitre conclut que la parentalité « ne renvoie pas à l’état civil » et ne constitue donc pas un motif de discrimination prohibé par l’article 10 de la Charte.

Pour différents motifs, la Cour d’appel estime que le syndicat a échoué à convaincre que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable qui, en appliquant l’arrêt SIISNEQ, détermine que la non-inclusion des congés de maternité, de paternité et parental parmi les congés qui n’entrent pas en compte aux fins de l’octroi du congé d’assiduité n’est pas une mesure ou décision discriminatoire fondée sur l’« état civil ». Le Syndiat prétendait notamment que la question en litige fait l’objet d’une jurisprudence contradictoire « soit l’une provenant principalement du Tribunal des droits de la personne […] et l’autre issue d’une décision de la Cour d’appel, l’arrêt SIISNEQ » et que, par conséquent, l’arbitre devait appliquer celle du Tribunal des droits de la personne.

La Cour d’appel estime qu’en vertu du principe du stare decisis vertical, cette prétention du Syndicat est erronée. En l’effet, selon la Cour, il n’est pas possible d’invoquer l’existence d’une jurisprudence contradictoire « lorsqu’il est question d’une décision du Tribunal, d’une part, et d’un arrêt de la Cour, d’autre part », et ce, malgré l’existence de décisions contradictoires au sein d’un même tribunal. La Cour note qu’elle n’a d’ailleurs jamais contredit l’arrêt SIISNEQ dans un arrêt subséquent.

En outre, la Cour rappelle le caractère exhaustif de l’énumération des différents motifs de discrimination prohibés contenue à l’article 10 de la Charte. Selon la Cour, il importe de prendre en considération que, contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, l’énumération des motifs contenus à l’article 10 exclut la possibilité d’interpréter la disposition au point d’y inclure de motifs de discrimination « analogues » à ceux énoncés. Or, le fait que le législateur n’a pas modifié le libellé de la disposition concernée afin d’y inclure le terme « notamment » ou en ajoutant la « situation familiale » à l’énumération, tel que le revendiquait la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en 2018 (lors des consultations publiques concernant le projet de loi 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail) est « révélateur ». La Cour souligne que le silence du législateur ou son abstention peuvent être significatifs.

Par ailleurs, la Cour rejette l’argument du Syndicat voulant que les salariées en congé de maternité subissent de la discrimination fondée sur les motifs prohibé du sexe et de la grossesse en étant exclues du régime de congé d’assiduité. La Cour conclut que, tout comme les salariés en congé parental ou de paternité, les salariées en congé de maternité ont été exclues du régime de congés d’assiduité en raison de la durée de leur congé et de l’objectif sous-tendant ledit régime établi par les parties.

Cet arrêt constitue ainsi un rappel de l’état du droit concernant ce que comprend la notion « d’état civil » et réitère également l’importance pour les tribunaux quasi judiciaires et administratifs de se rattacher au principe du stare decisis vertical. Toutefois, il est possible de s’interroger légitimement sur la conclusion de la Cour quant à son refus de considérer l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Brossard (Ville de) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 270. En effet, dans cet arrêt, la Cour suprême avait conclu qu’une politique anti-népotisme adoptée par une ville constituait de la discrimination fondée sur le motif d’« état civil » en ce qu’elle était fondée sur « la filiation, la fraternité et la sororité ». Or, ici, la Cour d’appel considère que les notions de « parentalité » et de « situation parentale » sont « plus larges et plus multiformes » et qu’il n’y a donc pas lieu d’interpréter le motif « état civil » afin de les y inclure.

Par ailleurs, la Cour d’appel indique au paragraphe 87 qu’il y a lieu de procéder, lors de l’examen du troisième élément constitutif de discrimination (à savoir la distinction, l’exclusion ou la préférence fondée sur un motif énuméré a pour effet de détruire ou compromettre le droit à des conditions de travail exemptes de discrimination) à « une analyse contextuelle pour déceler l’existence d’un préjudice réel ». Elle souligne qu’une telle analyse prenant en compte les dispositions de la convention collective dans leur ensemble permet de conclure à l’absence de discrimination, avant même de considérer la question de l’existence d’une contrainte excessive. Il y a lieu de s’interroger sur cet énoncé, surtout en considérant que le cadre juridique relatif à la discrimination prima facie en vertu de la Charte québécoise est bien établi et a d’ailleurs été réitéré dans l’arrêt Aluminerie de Bécancour (2021 QCCA 989) : il serait plutôt indiqué de considérer qu’il reviendrait alors à l’employeur de démontrer, notamment au regard des autres dispositions de la convention collective, qu’il subirait une contrainte excessive selon les circonstances.