Billet: Fédération de la santé et de services sociaux c. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux – entrave, État-employeur et dommages punitifs

Date3 janvier 2024
Auteurs Élisabeth Diguer
Guillaume Grenier
Sujet Billet juridique

Fédération de la santé et de services sociaux c. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux, 2023 QCTAT 5205 (juge administrative Line Lanseigne)

Le Tribunal administratif du travail (ci-après, « le TAT ») conclut que le gouvernement du Québec, le ministre de la Santé et le comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux ont entravé les activités des syndicats requérants et ont négocié de mauvaise foi.

Ce litige s’inscrit dans la foulée de la mise en application, à trois reprises, de directives du ministère de la Santé qui mettaient en œuvre unilatéralement la rémunération des heures supplémentaires à taux double pendant la période estivale de 2022 et créaient un statut d’emploi particulier, à savoir des personnes salariées temporaires exclues du champ d’application des conventions collectives.

Sept syndicats déposent des recours pour entrave aux activités syndicales et négociation de mauvaise foi en vertu des articles 12 et 53 du Code du travail.

Au soutien de ces mesures modifiant les conditions de travail négociées, les défenderesses invoquaient que les directives étaient justifiées par un intérêt légitime en ce qu’elles étaient nécessaires pour faire face à une vague inattendue de COVID-19 ainsi qu’à une pénurie de main-d’œuvre exacerbée pendant la période estivale, alors qu’il faut éviter un bris de service pour les usagers du réseau. Les défenderesses soutenaient également que ces mesures n’avaient pas eu d’impact négatif sur les activités syndicales.

Le TAT rejette ces arguments. Après un rappel que l’État, comme employeur, n’est pas soustrait à l’application des articles 12 et 53 du Code du travail, le TAT conclut que les prérogatives des défenderesses en matière de santé ne lui permettent pas de court-circuiter l’application de la loi et n’ont pas pour effet d’écarter la liberté d’association, sans quoi l’équilibre entre les parties serait perturbé en présence de l’État-employeur. De plus, le TAT estime que les agissements de l’État découlent d’un problème de rareté de main-d’œuvre récurrent plutôt que de l’urgence alléguée quant à une vague de COVID-19, celle-ci étant plutôt un prétexte pour décider unilatéralement des mesures incitatives mises en place et pour écarter les organisations syndicales du processus. Le TAT rejette aussi la prétention des défenderesses selon laquelle les mesures incitatives n’ont eu aucun impact sur les organisations syndicales, puisque ces mesures ont rompu le rapport de force et discrédité les associations auprès de leurs membres.

Le TAT conclut qu’il n’y a eu aucune consultation ni négociation pour modifier les conditions de travail. L’État a fait fi du rôle du rôle d’agent négociateur unique des syndicats et a fait montre d’irrespect quant au processus de négociation collective. La modification unilatérale des conditions de travail par les directives constitue ainsi une entrave à l’action syndicale.

Le TAT conclut également que les défenderesses ont manqué à leur obligation de négocier de bonne foi en procédant à la modification unilatérale des conditions de travail par l’entremise des directives alors même que se tenait un processus de négociation exigeant d’elles qu’elles s’engagent dans un véritable dialogue. Le TAT accueille donc aussi la plainte de négociation de mauvaise foi d’un des syndicats.

Outre le prononcé de conclusions déclaratoires et d’ordonnances de cesser les comportements en violation de la loi, le TAT ordonne également que sa décision soit publiée sur la page d’accueil du site web du ministère de la Santé.

De plus, étant donné que la conduite de l’État s’est produite à trois reprises, qu’un comportement similaire a déjà été sanctionné dans le passé et que l’on s’attend à une certaine exemplarité de l’État, le TAT fait droit à la demande de dommages punitifs. Il est ainsi ordonné qu’une somme de 45 000 $ soit versée à chacun des syndicats, pour un total de 315 00 $.

Cette décision du TAT s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle récente plus encline à sanctionner l’atteinte au droit d’association par une condamnation à payer des dommages punitifs. Le TAT va ici au-delà des sommes plus symboliques accordées dans le passé en soulignant notamment que l’État-employeur doit prêcher par l’exemple et en indiquant que le montant des dommages punitifs doit permettre à ceux-ci d’accomplir leur fonction dissuasive.