Billet: Lareau c. Centre du camion Gamache inc. – congédiement déguisé

Date14 novembre 2023
Auteurs Jérémie Bérubé
Guillaume Grenier
Sujet Billet juridique

(motifs de la juge Lavallée, auxquels souscrivent les juges Ruel et Hamilton)

Dans cette affaire, l’appelant interjette appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté son recours en dommages et intérêts pour rupture de son contrat de travail. En effet, la juge de première instance avait conclu que l’appelant, un directeur des ventes ayant accepté de redevenir vendeur au terme d’une absence pour maladie, n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, mais avait plutôt donné sa démission de manière libre et éclairée. Selon cette dernière, les modifications aux conditions de travail du plaignant n’étaient pas substantielles et n’avaient pas été adoptées dans le but de l’inciter à démissionner.

La Cour d’appel détermine que la juge de première instance a commis trois erreurs dans le cadre de son analyse du congédiement déguisé.

La Cour conclut d’abord que la juge de première instance commet une erreur de droit en retenant que la preuve d’un congédiement déguisé exigeait de l’appelant qu’il démontre que les mesures prises par l’employeur s’inscrivaient dans l’objectif de le contraindre à démissionner. En effet, la Cour d’appel rappelle que le test en pareille matière ne consiste pas à se demander si « les mesures ont été mises en place par l’employeur dans le but de forcer un employé à démissionner », mais bien si, « eu égard à toutes les circonstances, une personne raisonnable s’étant trouvée dans la situation du salarié aurait vu dans la conduite de l’employeur la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat ». Ainsi, le test de la modification unilatérale des conditions de travail n’intègre pas un élément concernant l’intention de l’employeur.

La Cour ajoute que la juge de première instance a également erré en omettant de tenir compte de deux manquements substantiels de l’employeur à l’égard des conditions de travail de l’appelant. La Cour estime que si la juge avait tenu compte de la violation par l’employeur de certains termes du contrat de travail révisé de l’appelant, elle aurait conclu à l’existence de manquements substantiels donnant lieu à un congédiement déguisé.

Enfin, la Cour conclut que la juge de première instance a erré en restreignant le deuxième volet de l’analyse du congédiement déguisé établi dans l’arrêt Potter de la Cour suprême à la question de savoir s’il y avait ou non harcèlement psychologique. La Cour rappelle que le deuxième volet du test requiert de faire un examen rétrospectif des gestes de l’employeur et de « déterminer si, aux yeux d’un employé raisonnable, leur effet cumulatif traduirait l’intention de l’employeur ne plus être lié par le contrat ». Or, en faisant reposer ce deuxième volet de l’analyse sur la question du harcèlement psychologique, la juge a indûment restreint la portée de l’analyse relative au congédiement déguisé. La Cour souligne que « l’absence de harcèlement psychologique ne mène pas nécessairement à la conclusion de l’inexistence d’un congédiement déguisé ». La Cour conclut que l’effet cumulatif des décisions de l’employeur dans cette affaire « traduisait, aux yeux d’un employé raisonnable placé dans les mêmes circonstances, l’intention » de ne plus être lié par le contrat de travail.

Enfin, la Cour d’appel considère que l’appelant avait droit à un délai-congé de 18 mois, compte tenu de l’importance du poste qu’il occupait, de son âge au moment de son congédiement déguisé (53 ans) et de sa diligence dans sa recherche d’un nouvel emploi.

Cet arrêt constitue ainsi un rappel bienvenu qu’en matière de congédiement déguisé, il ne faut pas intégrer dans l’analyse du caractère substantiel des modifications unilatérales au contrat de travail un élément qui exigerait la démonstration de l’intention de l’employeur de forcer la démission de l’employé. De plus, l’arrêt de la Cour précise de façon utile que l’absence de harcèlement psychologique ne signifie pas forcément qu’il ne peut exister une situation de congédiement déguisé.